Souriante, attachante, créative et «hard worker». Ces qualificatifs sont ceux qu’on peut percevoir facilement lorsqu’on suit Amie Kouamé sur les réseaux sociaux. Lorsqu’on lui parle de vive voix, ils se confirment et on en découvre bien d’autres, plus sincères et profonds. Amie Kouamé est la fondatrice d’Ayana, le média de la femme d’Afrique et de la diaspora. Pour le célèbre évènement Super Woman qu’elle organise depuis 11 ans maintenant, l’étape de Dakar aura lieu ce samedi 25 novembre dans la capitale sénégalaise à Canal Olympia. On y parlera d’Être soi dans une culture sénégalaise tiraillée entre la tradition et la modernité. Amie a décidé de demander à ses intervenantes sénégalaises de traiter les thèmes de “Comment être soi”, “comment gérer la charge mentale”? Comment sortir des sentiers battus et trouver sa voie ?… J’ai voulu avoir ses réponses à elle sur toutes ces questions-là et sur bien d’autres encore. Plongez avec moi dans cet échange authentique et passionnant.
A la rencontre de Amie Kouamé …
Aminata : Avec Super Woman By Ayana, vous êtes considérée comme l’ambassadrice d’un sujet qui fait couler beaucoup d’encre et de salive en ce moment : le «Women’s empowerment». Qu’avez-vous à dire à ceux et celles qui pensent que la sororité entre femmes est un mythe ou vous en avez marre de répondre à cette question?
Amie Kouamé: Non ce n’est pas que j’en ai marre mais je ne me considère pas juste comme ambassadrice de ce thème. Le nom de l’événement (Super Woman) ne visait pas à parler de sororité mais plutôt de mettre en lumière quelque chose que les femmes font naturellement quand elles s’asseyent et que tu les laisses entre elles : se parler, se dire des choses et s’édifier.
De plus, quand Super Woman est né (il y a plus de 10 ans maintenant), tout ce qui est “Women’s empowerment”, “solidarité féminine” et “sororité” n’existaient pas ou alors était très peu connu. Aujourd’hui, c’est devenu tendance d’utiliser ces expressions-là quand il s’agit de la femme et du développement de son potentiel. Mais je le répète, Super Woman existait bien avant cette mode sur ces thématiques. La sororité, ce n’est pas un concept. Ce n’est pas une religion. Ce n’est pas un mouvement auquel il faut croire ou pas. C’est une expérience de vie que les femmes vivent depuis des siècles : s’entraider. Il n’y a donc rien de nouveau sous les tropiques.
Avec Super Woman, J’ai juste voulu mettre en lumière des femmes, qui justement, ont envie de partager leurs expériences de vie à d’autres femmes qui ne sont pas forcément dans leurs cercles proches. Au départ, c’était des femmes qui me parlaient. Elles me conseillaient et me racontaient leurs histoires. Puis un jour, je leur dis écoutez, vous me racontez tout ça mais c’est important que d’autres femmes comme moi, dans le besoin de s’inspirer et d’avancer dans leur vie personnelle et professionnelle puissent vous écouter aussi. Super Woman est ainsi né.
Aminata : C’est quoi être soi même selon vous Amie Kouamé?
Amie : C’est être authentique. Je n’essaie pas d’être une autre personne. Je m’accepte avec mes forces et faiblesses. C’est apprendre à me développer et m’assurer que je suis dans mon couloir. J’essaie de me sentir bien dans ma peau et dans mon mental.
Aminata : Et comment faites-vous pour être authentique, être bien dans votre tête, …?
Amie Kouamé : La première chose, c’est que je me demande toujours quel est le “why”. Pourquoi il y a telle ou telle chose qui peut me déranger ? Pourquoi je me sens mal dans telle situation, dans tel vêtement, avec telle coiffure? Est-ce que j’ai l’air d’être de l’extérieur ce que je ne suis pas de l’intérieur ? La première chose, c’est donc le questionnement. Ce sont les réponses à ces questions qui m’aident à rester authentique ou à retrouver mon authenticité.
Par ailleurs, lorsque je ne peux répondre à ces questions, je me fais accompagner par des coachs et par un psy qui vont m’aider à comprendre mes choix et mes tensions internes.
Ensuite, la deuxième chose est que je me demande constamment “ what makes me happy”? Quelle est cette chose qui me procure un bonheur intérieur car c’est ce que je veux atteindre : une paix intérieure.
Aminata : Pouvez-vous me donner des exemples de choses qui vous procurent cette paix intérieure ?
Amie Kouamé : Prier et passer du temps avec mes enfants principalement. Puis, lire les messages des gens qui me montrent que le travail que je fais, ce n’est pas du vent. Lorsque des gens m’écrivent pour me dire “Amie, j’ai assisté à ton événement, ça m’a permis de me sentir mieux” ou encore “J’ai rencontré telle personne grâce à ton événement”, cela me fait du bien. Je me sens utile.
Aminata : Vous doutez ? Il arrive que vous vous dites que votre travail, c’est du vent ?
Amie Kouamé : Je doute tout le temps. Et d’ailleurs, je ne dirai même pas que ce sont des doutes mais plutôt des questionnements. Car oui, le problème de vouloir faire les choses bien, c’est que l’on est toujours en train de se questionner.
Pour ma part, je trouve essentiel de se questionner. Cela permet de garder une certaine humilité. Quand je viens à Dakar par exemple pour cet événement (Super Woman By Ayana édition Dakar), je me demande qui suis-je moi, Amie Kouame? Pourquoi viendrai-je à Dakar faire cet évènement ? Qu’est ce que je viens apporter aux sénégalaises ? Quelle sera ma valeur ajoutée ?
Aminata : Et quelle est la réponse à ces questions ?
Amie Kouamé : C’est que tant que je ne l’ai pas fait, je ne le saurai pas. Je dois donc le faire.
Aminata : Pour finir sur cette question de soi/moi, est-ce qu’aujourd’hui, on peut dire que Amie Kouamé a trouvé son moi ?
Amie Kouamé : Oui. Même si c’est quelque chose qui est en perpétuel mouvement, je pense que j’ai trouvé ma voie. N’oublions pas que le soi change. Le soi de 20 ans, ce n’est pas le soi de 30 ans, ce n’est pas le soi de 40 ans ni le soi de 60 ans.
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Aminata : Et c’est quoi le soi d’Amie là, aujourd’hui, en décembre 2023 bientôt 2024 ?
Amie Kouamé : J’ai eu des chocs émotionnels dans ma vie qui m’ont poussée à me questionner sur mon moi. Mon moi d’aujourd’hui, c’est quelqu’un qui est fort de tout ce passé. C’est le moi d’une femme qui cherche une forme d’équilibre et de confort émotionnel, psychologique et financier. Un équilibre et un confort qui vont me permettre d’être une bonne cheffe d’entreprise, une bonne mère et une bonne compagne. Aujourd’hui, on peut dire que j’arrive à trouver cet équilibre tout en étant consciente que c’est un travail perpétuel.
Aminata : A notre époque, je ressens une forme de gêne à la question suivante que je vais poser parce que je ne l’aurai pas intuitivement posé à un homme. De plus, je ne veux plus que ça soit une question exclusivement destinée aux femmes mais, contexte oblige.
Trêve de bavardage, avec toutes les casquettes que vous avez, la personnalité publique et l’inspiration que vous êtes aux yeux des autres, vos propres tensions internes, vos questionnements ou doutes, le fait d’être maman, compagne, autres, … Comment gérez-vous votre charge mentale ?
Amie Kouamé: Je fais des siestes. Oui oui, des siestes. Il m’arrive de faire des crises d’angoisse dues à mon côté perfectionniste. Et lorsque cela m’arrive, je prie, je ferme tout, je mets mon téléphone en mode avion et je me fais ce rappel : l’avantage que tu as d’être entrepreneure, c’est que tu n’as pas besoin d’être devant ton ordinateur de 8h à 18h dans un bureau. Il est 13h, mange et va dormir. Et ça marche pour moi.
L’autre chose qui m’aide énormément dans la gestion de ma charge mentale, c’est que j’ai un entourage qui me soutient beaucoup, ma mère en l’occurrence. Je peux m’appuyer sur elle pour des choses qui concernent les enfants ou mes challenges personnels. Elle va y répondre de manière positive et sereine. Cela me permet de relativiser et de me détendre totalement.
Aminata : Comment avez-vous fait pour sortir des sentiers battus et trouver votre voie ?
Amie : Je pense que dans ma personnalité je suis une personne très têtue. J’en ai fait voir de toutes sortes à mes pauvres et bien aimés parents. Je suis intrinsèquement quelqu’un qui va opter pour les choses qui lui font vibrer. Par contre, trouver ma voie n’a pas été évident. Cela me frustrait d’être différente et de vouloir faire les choses différemment quand autour de moi, on ne le comprenait pas et on me jugeait. J’ai donc commencé à travailler sur moi, mes problématiques d’acceptation de soi, mes conflits internes, émotionnels, etc. Je me suis retrouvée. J’essaie tous les jours. Et puis, cet entourage qui critiquait ma différence s’y est fait aujourd’hui. Il sait que personne ne peut m’empêcher d’être moi aujourd’hui et de rester dans la voie que j’ai choisie. Cette voie, c’est tout ce que je fais aujourd’hui et tout ce que je suis aujourd’hui.
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Aminata : Pourquoi avez- vous choisi ce thème “Être soi” ?
Amie Kouamé: l’année d’avant, c’était les 10 ans de l’évènement Super Woman et le thème était : le pouvoir de changer. Dans cette édition, on se rappelait que les femmes avaient le pouvoir de se transformer elles-mêmes, de changer leurs communautés et de faire grandir des femmes plus jeunes. Et qu’humblement, on pourrait tenir une bonne partie de l’économie de ce continent avec un tel état d’esprit sur notre pouvoir de faire changer les choses.
Alors, lorsqu’on passe à cette 11è édition de Super Woman à Dakar, je me pose des questions et je me dis mais en fait, comment peux-tu avoir conscience de ton pouvoir si tu n’es pas toi même ? Je me suis dit que je tenais mon thème et qu’il était primordial de nous rappeler que c’est important d’être soi et d’avoir cette authenticité pour avancer.
Dans cette thématique générale d’être soi, on a développé à Abidjan la notion de visibilité des femmes, d’argent et du rôle des hommes dans ce processus d’être soi. À Paris, on a parlé de diversité, de double culture dans cette quête de soi. À Dakar, nous allons parler de culture et de modernité parce que le poids de la société est énorme sur les femmes sénégalaises. J’adore la culture sénégalaise. Elle est présente et donne une image forte de l’identité des femmes sénégalaises. De l’extérieur, c’est très beau à voir. Mais quel est le revers de ça dans le fond ? Comment trouver l’équilibre entre culture et modernité dans la société sénégalaise d’aujourd’hui ? Mon équipe et moi avons choisi d’excellents profils pour enrichir notre contribution sur cette question.
Aminata : Que diriez-vous à une Sénégalaise qui est au cœur de la cible de Super Woman et qui hésiterait à assister à cette conférence à Dakar ?
Amie : Je lui dirais qu’elle aura l’opportunité d’écouter et de parler de choses dont elle ne parlerait pas dans la vie de tous les jours et qui lui tiennent pourtant à cœur. Je lui dirais qu’elle se retrouvera dans un espace où elle pourra libérer sa parole sur ces sujets-là. Elle aura aussi l’opportunité d’écouter celle d’autres femmes. Je lui dirais qu’elle va pouvoir se nourrir d’expériences de femmes à travers les discussions qui vont avoir lieu et trouver des solutions dans son quotidien. Et enfin, je lui dirais qu’elle va développer d’une façon nouvelle et profonde, son réseau. Et que même si nous serons 300 personnes, nous passerons un moment familial unique.
Aminata : Quel est votre Why ? Pourquoi faites-vous cela ?
Amie Kouamé : Elle est bonne celle-la. Rires. Je me suis posée cette question l’année dernière à Paris. Je ne voulais plus organiser Super Woman en réalité. Car vous voyez, je ne suis pas riche avec Super Woman. De plus, c’est beaucoup de travail, beaucoup d’énergie et une grande communication à déployer. Le tout, pour très peu de retombées financières.
On est en 2022, je me retrouve à me poser des questions vitales pour ma vie professionnelle et personnelle à savoir comment assurer la santé financière de mon entreprise et l’avenir de mes enfants. Et c’est là que la spiritualité et tout le travail sur “mon moi” que j’ai fait durant toutes ces années m’ont ouvert les yeux sur la réponse : le Why, c’est que c’est ma mission de faire Super Woman. Même quand je décide avec toutes mes forces de ne plus continuer Super Woman by Ayana, tout l’univers conspire pour me mettre sur la table, tout ce dont j’ai besoin pour organiser cet évènement.
Un exemple concret : C’est à la 10ème année de Superwoman, au moment où je décide de ne pas du tout l’organiser que je reçois ce coup de fil d’un sponsor qui me demande de lui envoyer mon pitch deck de cette année. Je lui rétorque qu’il n’y aura pas de Super Woman cette année. Non seulement il multiplie par 4 le budget qu’il allouait à cet évènement mais, je me retrouve à faire 4 dates avec Abidjan alors que c’était l’année où j’ai décidé que j’arrêtais tout. J’ai réalisé que Super Woman, ce n’est même pas moi. C’est une mission et c’est pour ça que j’ai beaucoup d’humilité en l’organisant.
Aminata : En parlant de Super Woman à Paris, comment avez-vous obtenu votre partenariat avec les Galeries Lafayette ?
Amie Kouamé : Avec de l’audace…
J’avais envie de faire un Super Woman à Paris. Je voulais le faire dans une grande salle mais je n’avais pas d’opportunités à l’horizon. Et quand j’ai eu l’opportunité de faire une collaboration d’influence avec les Galeries, j’ai pris mon billet dans l’idée de profiter de ce voyage pour prospecter et négocier afin que cela puisse se faire. J’ai rencontré des sponsors, des partenaires et des influenceuses. Grâce à tout cela, les Galeries Lafayette ont accepté d’organiser l’événement dans l’une de leurs plus belles salles.
Aminata : Amie, qu’est ce que vous avez appris de cette expérience de Paris, de toutes ces choses vécues, tout ce que vous avez raconté depuis le début de notre échange ?
Amie Kouamé : La première chose apprise c’est qu’il ne faut jamais rien prendre pour acquis parce que de l’extérieur, les gens se disent que je fais de gros événements. Mais ce qu’il faut aussi savoir, c’est que derrière, cela exige d’énormes efforts pour réaliser ce qu’on a dans la tête et dans le cœur. Et mon challenge avec Super Woman, c’est d’être authentique chaque année, de toujours trouver un concept intéressant à chaque édition tout en gardant le même esprit.
La deuxième chose apprise est qu’aujourd’hui, je ne peux rien sans la foi et sans l’exécution de la foi (Me donner à fond sur ce que je peux faire et laisser tout ce que je ne peux pas contrôler, entre ses mains …).
Enfin, avec tout ce que j’ai vu et vécu dans cette aventure entrepreneuriale, c’est que les hommes ont aussi besoin d’accompagnement pour mieux comprendre l’évolution des femmes…. Mais ça Aminata, ça fera l’objet d’une autre interview.
Aminata : Quand on voit Amie Kouamé sur les réseaux sociaux, on peut se dire qu’elle a eu une année hyper pleine. Mais ça, c’est ce qu’on voit de l’extérieur. Si vous regroupez tout ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, quel serait le bilan pour votre année 2023?
Amie Kouamé : Il est positif parce que je suis allée au bout de ce que je voulais faire sur deux de mes projets : Super Woman et mon autre produit : “Alloco Piment”. En effet, faire Super Woman à Paris, Dakar et Brazzaville en 2023, c’est sortir de ma zone de confort et je l’ai fait. Cela peut sembler être un acquis pour beaucoup de personnes de me voir organiser cet événement hors de mon pays, la Côte d’Ivoire. Mais en réalité, non. Ce n’est pas un acquis. C’est difficile. Il faut aller chercher les sponsors, expliquer aux gens en quoi ce que tu fais a du sens, apprendre à lâcher prise pendant les moments forts de l’organisation et être là pour ses enfants. Je l’ai fait. En ce sens, 2023 a été généreux pour moi. Concernant Alloco Piment, j’ai pu intégrer un point de vente stratégique et très important : Monoprix Abidjan. Pour moi, c’est une grande étape franchie pour ma marque.