Mme Ramata BARRO est la première invitée de notre rubrique intitulée “le coin des experts”. Sénégalaise et ingénieure des travaux des Eaux et Forêts, elle est actuellement chef de la division Protection des forêts à l’inspection Régionale des Eaux et Forêts de Saint-Louis (Sénégal). Dans l’interview qu’elle nous a accordée, elle a tenu à alerter sur une menace. Il s’agit de la raréfaction des ressources naturelles dont se servent les marques de produits cosmétiques pour la composition de leurs produits de beauté. Nous vous invitons à lire attentivement cet entretien instructif qui on l’espère, éveillera les consciences.
Parlez-nous de l’état des ressources naturelles qui sont utilisées par les marques dans la fabrication de leurs produits
J’ai remarqué qu’il y a de plus en plus de marques qui utilisent les produits naturels. Le plus souvent, il s’agit de ceux issus de nos forêts. Le karité, le dattier du désert (ou soump en wolof), le souchet (ou Ndiir en Wolof), le caïlcédrat (ou Khaye en Wolof) etc. Le fait que les consommateurs s’intéressent davantage à ce type de produits pousse à croire que la filière des cosmétiques naturelles est appelée à s’agrandir et surtout à s’industrialiser. Mais qu’en est-il de la matière première motrice de cette production ? Les professionnels de cette filière doivent absolument se soucier du renouvellement des ressources naturelles qui sont de plus en plus menacées. Une condition sine qua none pour que le secteur se développe.
En quoi consiste le travail d’une ingénieure des travaux des eaux et forêts ?
Il s’agit de participer à la mise en œuvre de la politique de l’État en matière de gestion des ressources forestières. Nous mettons en œuvre avec des collègues agents techniques et gardes, des activités dans le cadre du reboisement, de la protection des forêts, de leur aménagement et de la gestion de la faune.
A votre avis, que faut-il faire pour contrer la raréfaction des ressources naturelles que vous venez de citer ?
Une des choses à faire est de protéger au maximum ce qu’il en reste en protégeant surtout les jeunes pousses. Ensuite, renforcer les effectifs avec des activités telles que le reboisement.
Quelle est la responsabilité des marques selon vous? Est-ce que c’est justement à elles de faire quelque chose?
Nous avons tous une part de responsabilité tant que nous bénéficions des biens et services des arbres (produits utilisés, air purifié, chaleur atténuée, etc.). Quand on puise dans un canari pour boire, il faut y remettre de l’eau pour espérer se désaltérer plus tard. Les marques de produits cosmétiques, parce qu’elles utilisent ces produits, sont appelées à contribuer à leur régénération si elles veulent continuer à produire dans l’avenir.
Le service des Eaux et Forêts mène des activités dans le but de protéger et régénérer les espèces, mais il faut que tout le monde s’y mette pour qu’il y ait l’effet escompté.
Quelles sont les solutions que vous préconisez en tant que professionnelle?
Ce que je propose aux marques, c’est de développer une politique RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) qui pourra leur permettre de prendre en compte cet aspect. Elles pourront se rapprocher des Eaux et Forêts pour en savoir plus sur les espèces utilisées et participer aux activités de protection et de régénération. Mieux, elles pourront elles-mêmes mener des activités de reboisement en parallèle avec la production, histoire de se préparer à l’avenir. Pourquoi ne pas créer leur propre espace où elles commenceront à produire les espèces dont elles ont besoin? Cela leur permettra d’avoir un stock disponible dans les années à venir mais aussi et surtout, de contribuer à reverdir le pays en créant des poumons verts. Bien sûr, la liste n’est pas exhaustive, selon chaque situation, une adaptation de la solution est possible pour le bien de tous.
Est-ce qu’il y a des chiffres permettant de quantifier cette disparition des ressources naturelles ?
Sur le terrain, les faits sont encore beaucoup plus palpables. Malheureusement à mon niveau, je n’ai pas encore connaissance de chiffres exacts même si des recherches en cours ont pour but d’en obtenir. Ce que nous pouvons retenir, c’est que selon le Ministère de l’environnement et du Développement Durable, 40 000 hectares de forêts sont perdues chaque année au Sénégal. Cela veut dire que les espèces forestières sont forcément menacées et qu’il y a lieu d’agir.
Est-ce qu’il y a une communication et une sensibilisation derrière afin de conscientiser tout un chacun? Quelles sont les actions posées dans ce but?
La communication existe mais elle est très timide. Elle se fait en général sur le terrain, au contact des populations rurales surtout et à travers des radios locales. J’espère qu’avec des médias comme Setalmaa, le message passera davantage et les gens comprendront la nécessité de préserver nos ressources. A l’avenir, cela pourra permettre aux marques de produire en grandes quantités, au moment où elles devront satisfaire une plus large clientèle.
Où sont cultivés ces espèces et fruits rares ?
Certains sont cultivés mais la plupart est encore à l’état sauvage. C’est le cas du soump (dattier du désert) du ndiir(le souchet), du baobab ou encore du khaye (le caïlcédrat). C’est d’ailleurs ce statut qui fait que ces espèces nécessitent notre attention.
Faudrait-il protéger ces ressources naturelles qui sont encore à l’état sauvage mais aussi trouver une solution pour leur régénération. En les cultivant ? Sur quel type de sol poussent-elles? Peut-on par exemple en cultiver dans son jardin? En ville?
Oui c’est cela. Le type de sol et tous les autres paramètres dépendent d’une espèce à une autre. Toutes ces réponses sont disponibles auprès du service des Eaux et Forêts. Il suffit simplement de spécifier le type d’arbre auquel on s’intéresse. Cultiver ces arbres en ville est bel et bien possible si l’espace dont on dispose le permet.
Dans quelles régions du Sénégal les trouve-t-on? Quel est le poids économique de ces ressources naturelles pour les personnes qui l’exploitent ?
Le karité se trouve naturellement dans le Sénégal oriental (région Kédougou par exemple). Le soump (dattier du désert) dans le Nord du pays (régions de Saint-Louis, Matam). Le bouye (baobab) à Tambacounda mais aussi dans le bassin arachidier (régions de Thiès, Diourbel par exemple). Le khaye (caïlcédrat) en Casamance. Le nebeday (moringa) existe plus en culture qu’à l’état sauvage et on en retrouve un peu partout. Les produits forestiers non ligneux (tout produit provenant des arbres excepté ceux combustibles : les feuilles, les fruits, les écorces, les racines, etc) ont une valeur ajoutée totale estimée à 3,5 à 11 milliards de F CFA par an. Toutefois, il est difficile d’avoir des chiffres désagrégés pour chacune des espèces citées.
Pour quelles raisons avez-vous contacté Setalmaa pour parler de la raréfaction des ressources naturelles ?
J’avais vu une interview du Docteur Marie Diallo sur Setalmaa. Cela m’a fait repenser à toutes ces personnes qui se lancent dans les cosmétiques naturelles. Notamment à la question en rapport avec l’approvisionnement et surtout au renouvellement de la matière première. J’ai donc posé la question à Aminata Thior (ndlr fondatrice et rédactrice en chef de Setalmaa) pour savoir si les professionnels des cosmétiques naturelles avaient conscience de cet aspect.
Quel est votre mot de la fin ?
Je voudrais terminer en rappelant que la problématique de la dégradation des ressources naturelles concerne tout le monde. Elle s’applique aussi à tous les domaines. Que ce soit celui de la santé, de l’alimentation, du bien-être, etc. Au-delà du domaine cosmétique, d’une manière ou d’une autre ce phénomène affecte tout le monde. La bonne nouvelle c’est qu’il est possible pour tout un chacun de participer au combat pour la régénération des ressources naturelles.
Propos recueillis par Adji Adj Diallo