Ambition et passion, deux caractéristiques que dégage Diariétou Dia, cette Sénégalaise de 33 ans qui a quitté son confortable poste dans le secteur privé sénégalais pour vivre sa passion. Diplômée en Droit et Finance et après 7ans d’expériences professionnelles dans l’accompagnement RH et le développement des compétences commerciales et managériales, la jeune femme décide de se lancer dans la création et la vente de produits de beauté naturels made in Sénégal.
Après une formation en cosmétologie à l’étranger et avec une équipe de jeunes chimistes et commerciaux sénégalais, Diariétou a créé en 2009, Karaw international, une entreprise spécialisée dans la création de produits capillaires et corporels 100% naturels pour hommes, femmes et enfants. Karaw, c’est le nom que Diariétou a choisi pour sa marque de cosmétiques naturels. Ses produits sont aujourd’hui disponibles à Dakar mais aussi dans la sous-région et en Europe. Et ce, via un réseau de distributeurs développé grâce à la forte présence de Karaw International sur les réseaux sociaux. Quelles sont les motivations de la création de cette marque ? Quels sont ses défis quotidiens, sa vision et ses difficultés ? La jeune entrepreneure nous répond.
Qu’est-ce qui vous a poussée à quitter votre job au bout de 7 ans d’expériences professionnelles pour créer une marque de produits de beauté?
En 2009, j’avais de très sérieux problèmes capillaires qui m’ont poussée à couper mes cheveux. Je me suis dit pourquoi ne pas essayer une recette de grand-mère pour résoudre mes problèmes. Je l’ai fait, ça a marché sur moi et j’ai voulu partager cela avec un plus grand nombre de Sénégalaises. J’ai donc commencé à faire de petits pots de crème capillaire et à les vendre sur le marché. Ce fut un échec cuisant. Les produits ne répondaient pas aux critères d’exigences des Sénégalaises. J’ai donc décidé d’arrêter, de me former et de faire davantage de recherches.
Après plusieurs séjours et formations à l’étranger, je me suis sentie prête pour relancer la fabrication des produits. En effet, le déclic est arrivé à Londres. J’avais remarqué que l’industrie de la cosmétique était hyper développée dans cette ville. J’y ai ensuite suivi des formations à la suite desquelles j’ai remis sur la table, la création des produits capillaires. Ainsi dans les trois derniers mois de l’année 2015, j’ai remis sur le marché de nouveaux produits et nous avons eu énormément de retours positifs. En janvier 2016, j’ai lancé officiellement la marque Karaw.
Et cette fois-ci, comment avez-vous su que c’était le bon moment pour votre cible?
La page Facebook de Karaw était créée depuis 2009. Lorsque je me suis décidée à la réactiver en 2015, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’engouement. Les gens suivaient et s’intéressaient de plus en plus à la page et aux produits naturels. Cela a motivé davantage le lancement officiel de notre activité.
Après 3 mois de vente, nous avons eu beaucoup de personnes vivant en France, au Royaume Unie, aux Etats-Unis et en Afrique de l’Ouest qui nous ont contactés pour devenir des revendeurs de nos produits.
Pourquoi le choix du nom Karaw ?
Karaw est un mot wolof – la langue nationale la plus parlée au Sénégal – qui signifie cheveux en français. J’ai toujours aimé tout ce qui est cheveux. J’ai voulu trouver un nom qui allait capter l’attention des Sénégalais et pourquoi pas, attirer également l’attention de ceux qui sont à l’étranger (en les poussant à se poser des questions sur le nom de la marque). Le nom « Karaw » est ainsi né.
Par ailleurs, comme je ne vise pas seulement le marché africain, j’ai décidé de nommer l’entreprise : Karaw International. C’était nécessaire de trouver un nom qui correspondait à notre vision mais aussi à notre cible – qui n’est pas que sénégalaise et africaine.
Vous proposez une assez large gamme de produits pour une jeune entreprise qui a débuté en janvier 2016. Comment expliquez-vous cela ?
C’est normal, nous sommes constamment à l’écoute de notre clientèle et à la création de nouveaux produits répondant à leurs besoins. Produire des produits qui répondent à leurs attentes est un défi pour moi, un moteur. Lorsque nous avons commencé officiellement en janvier 2016, nous vendions uniquement en ligne sur Jumia et sur d’autres plateformes d’e-commerce au Sénégal. Cette présence virtuelle a duré 7 mois. Les retours d’expériences des consommateurs se sont multipliés. Les commandes suivaient également. J’ai pris le temps de réfléchir à la stratégie à mener pour répondre aux besoins des clients et assurer les commandes. J’ai ensuite décidé d’évoluer, d’innover encore, de voir plus loin et d’élargir la gamme avec l’objectif d’atteindre une plus grande clientèle ici au Sénégal mais aussi à l’étranger. Une clientèle exigeante.
Pour cela, j’ai élargi l’équipe en embauchant des profils spécialisés dans la cosmétique – Un technicien de laboratoire, un chimiste, un commercial et deux vendeurs pour la boutique.
Dans le mini laboratoire que j’ai aménagé dans ma maison, nous mettons tous la main à la patte. Mon technicien, mon chimiste et moi, fabriquons nous-mêmes les produits. Notre leitmotiv est la qualité. Par ailleurs, avec la demande qui croit de jour en jour, nous avons besoin de plus d’espace. La prochaine étape sera d’ouvrir un plus grand laboratoire mais il faut que les moyens financiers suivent. Ce n’est pas encore le cas. On fera donc les choses à notre rythme.
Mon technicien, mon chimiste et moi, fabriquons nous-mêmes les produits. Notre leitmotiv est la qualité.
Quelle est la provenance des composants de vos produits ?
La vitamine E par exemple, ingrédient indispensable dans nos compositions, est une ressource rare au Sénégal
Nous achetons certaines de nos matières premières à l’étranger. Nous y sommes contraints. La vitamine E par exemple, ingrédient indispensable dans nos compositions, est une ressource rare au Sénégal. Nous nous en procurons ainsi en France ou au Maroc. Par contre, tout ce qui concerne les produits végétaux, nous les trouvons facilement à l’intérieur du pays. Nous travaillons avec des coopératives et groupements de femmes à Kédougou, en Casamance et à Kaolack – quelques villes du Sénégal. Je rappelle que le beurre de Karité de Kédougou est le numéro 1 en Afrique de l’ouest.
On dit souvent que les produits de beauté de certaines marques africaines manquent de finition. Qu’en est-il des vôtres ? Ou trouvez-vous les packaging (emballages) de vos produits ?
Des packaging beaux, modernes et attirants, nous n’en trouvons pas (facilement) au Sénégal. Il y a très peu d’entreprises sénégalaises spécialisées dans ce domaine. J’ai commencé à m’en procurer par le biais d’une grande commerçante. Mais elle n’en fournissait qu’en petite quantité. J’ai donc décidé de les acheter directement à la source : en France, au Maroc, à Dubaï ou en Chine. Ce sont nos 4 pays fournisseurs.
Finalement cela a un coût d’acheter autant de produits à l’étranger (matières premières et packaging).
Ces produits que nous sommes obligés d’acheter à l’étranger nous coûtent excessivement cher. Ces achats à l’extérieur du pays nous empêchent de croître. Ils nous coûtent de l’argent, du temps et de l’énergie. Car oui, pour une petite structure lancée sur fonds propres, dépenser près de 2500€ tous les deux mois pour l’achat de matières premières et/ou packaging, assurer ensuite le transport et effectuer plusieurs allers-retours avant de les récupérer, n’est pas une chose aisée.
Donc oui c’est coûteux. Nous achetons ces produits à l’étranger à perte et cela a une répercussion directe sur notre marge.
Ces achats à l’extérieur du pays nous empêchent de croître. Ils nous coûtent de l’argent, du temps et de l’énergie.
Et est-ce que vous vous en sortez ? Est-ce que les gens achètent vos produits ?
Oui ça marche. Nous existons depuis moins de deux ans et les clients viennent de partout pour acheter nos produits. S’ils ne nous ont pas connu sur les réseaux sociaux où nous sommes très suivis, c’est par le système de bouche à oreille.
Nous en sommes à nos débuts. L’argent n’est pas notre motivation première. Je veux que nos produits soient de très bonne qualité et qu’ils aient une plus grande visibilité. Je mise énormément donc sur les compétences techniques pour la fabrication des produits mais aussi sur la communication.
Que répondriez-vous à la (potentielle) cliente qui se demande si vos produits marchent réellement ? S’ils tiennent les promesses sur leurs bienfaits?
A coup sûr. Je teste moi même les produits et je les fais tester par d’autres. Actuellement, nous sommes en train de travailler sur une nouvelle gamme qui va sortir prochainement. Cela fait 3 mois que nous testons ces produits sur un groupe de femmes et d’hommes. Et ce sont ces tests qui nous permettent de valider les bienfaits de nos produits mais surtout d’avoir la garantie que ça fonctionne.
Qu’en est-il de votre valeur ajoutée, qu’est-ce que vous proposez de mieux ou de plus par rapport à vos concurrents ?
Je mise sur les belles photos et sur tout support esthétique qui attire l’œil.
C’est la communication. J’ai remarqué qu’ici au Sénégal, pour atteindre certains marchés, il faut miser sur la communication. Je n’hésite pas une seule seconde à faire des shooting tous les 15 jours même si mon entourage trouve cela exagéré. Tant pis, c’est le résultat qui compte ! Je mise sur les belles photos et sur tout support esthétique qui attire l’œil. Par ailleurs, je fais régulièrement des posts sur la page Facebook de Karaw. C’est essentiel car autrement, les internautes t’oublient vite.
Concernant nos produits, nous effectuons un diagnostic des cheveux de nos clientes, leur fournissons des conseils et sommes disponibles pour répondre à toutes leurs questions. Et ce, sur tous les réseaux sociaux et en boutique.
De plus, je ne fais pas que créer et vendre des produits naturels. A Karaw International, nous vendons également de la matière première. Lorsque j’ai fait le constat de leur carence dans le pays, j’ai créé une branche de Karaw international qui s’appelle Aroma Afrique. Ainsi, nous y vendons des huiles essentielles, des huiles végétales, des poudres naturelles – gingembre et autres – et du beurre de karité ou de mangue – que nous conditionnons et revendons par la suite.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant qu’entrepreneure dans le domaine de la cosmétique ?
Elles sont essentiellement liées à l’emballage et à la logistique. En effet, l’industrie de l’emballage ou du packaging au Sénégal ne prend pas en compte les exigences des entrepreneurs que nous sommes. Nous avons besoin de leurs produits. Soit les packaging qu’on nous propose ne sont pas modernes et donc ne répondent pas aux exigences du domaine de la cosmétique.
A titre d’exemple, nous avons vendu nos produits pendant 6 mois dans des pots de colle parce que c’était les « meilleurs » qu’on pouvait trouver sur le marché sénégalais, à la FUMOA société sénégalaise spécialisée dans l’emballage.
Soit les packaging sont modernes mais ils les vendent que par lot de 5000 ou 10 000 pièces. Comment voulez-vous qu’un (e) entrepreneur (e) qui débute son activité puisse se permettre une telle dépense ? Nous sommes ainsi contraints de les acheter à l’étranger.
Ensuite vient la contrainte de la logistique. Lorsque je dois recevoir mes packaging et matières premières de l’étranger, je galère énormément. Surtout lorsque les produits viennent du Maroc. C’est l’enfer. Les délais ne sont pas maitrisés. Il m’est souvent arrivé de perdre des commandes car je n’ai pas reçu à temps des produits venant de l’étranger.
Y a-t-il des structures au Sénégal qui accompagnent des entrepreneurs comme vous dans le domaine de la cosmétique ?
Oui il y en a. sauf que ces agences nous demandent des garanties que nous ne pourrons jamais leur fournir. Elles te proposent de petits montants que nous pouvons nous-mêmes récolter en peu de temps. Il m’est arrivé 2 ou 3 fois de me retrouver devant ce type de structures. Finalement j’ai décidé d’arrêter les va-et-vient vers ces agences, de travailler depuis chez moi, dans mon domaine de spécialisation. Et nous sommes apparemment sur la bonne voix.
Par ailleurs, nous faisons partie de la plateforme « Made in Senegal » et sommes ainsi accompagnés par l’ASEPEX, l’Agence Sénégalaise de Promotion des Exportations. Ils ne fournissent pas de l’aide financière mais plutôt de précieux conseils sur la visibilité et présentation de nos produits.
A votre avis, le domaine de la beauté et cosmétique est-il pris au sérieux au Sénégal ?
Non, les Sénégalais ne considèrent pas ce secteur d’activité inintéressant. De nombreuses personnalités du pays achètent nos produits locaux.
Oui, absolument. Lorsque j’ai lancé Karaw, je ne savais même pas que j’avais des concurrents Rires (..). C’est lorsque des clients affirmaient avoir utilisé tel produit de telle gamme créée par tel (le) Sénégalais(e) que je me suis rendu compte que les gens s’intéressent et achètent réellement les produits fabriqués dans le pays.
Non, les Sénégalais ne considèrent pas ce secteur d’activité inintéressant. De nombreuses personnalités du pays achètent nos produits locaux. Les élèves, étudiantes et nos mamans font partie de notre clientèle régulière. Donc, je pense très sincèrement que l’industrie de la beauté ainsi que cette volonté, voire exigence de vouloir consommer des produits de beauté locaux sont aujourd’hui encrés dans les habitudes de certains Sénégalais.
Qu’avez-vous retenu de vos années d’entreprenariat ?
Une seule et essentielle chose : ne jamais attendre une quelconque aide qui viendra d’ailleurs. Ici au Sénégal, le mieux est de ne compter sur personne et de se débrouiller avec ses propres fonds – aussi minimes soient-ils – pour démarrer son business.
Comment voyez-vous Karaw dans 5 ,10 ans ?
Être le numéro 1 en Afrique francophone pour la fourniture de produits capillaires et de soins pour la peau, made in Sénégal. On dira que je suis ambitieuse mais tant pis. J’y crois et je travaille dur pour entre autres atteindre cet objectif.