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NK Thiat : “En créant Balik pour répondre à mon besoin, j’ai répondu au besoin d’autres personnes”

En 2014, Ndambaw Kama plus connue sous le surnom de NK Thiat décide de se lancer dans une activité encore peu développée en Afrique : le blogging. Son désir le plus fou? Faire de l’écriture créative et en vivre. C’est ainsi qu’elle a créé “WorldofNK”, le blog des sénégalités où elle met en oeuvre cette écriture créative et où elle parle de ces faits et comportements propres à la société et à la culture sénégalaise. Depuis, sa plateforme est incontournable dans la blogosphère sénégalaise. Blogueuse, traductrice et scénariste dans la série sénégalaise “Idoles”, NK a récemment créé une boutique en ligne de produits capillaires pour cheveux naturels : Balik secrets. Pourquoi avoir quitté son job pour le blogging ? Quelles sont les coulisses de la création de Balik? Entretien.

 

Cc : C.T.Traoré

 

Titulaire d’un Master en Sciences Economiques et d’un MBA, consultante à la Banque Mondiale, qu’est-ce qui vous a poussée à quitter votre job pour vous lancer dans le blogging et vos autres activités?

Parce que je m’ennuyais dans mon travail et je ne voulais pas passer plus de temps à faire quelque chose qui me rendait malheureuse. En effet j’ai travaillé pour la Banque Mondiale un moment et j’ai adoré mon passage dans cette organisation. Franchement c’était top. Seulement, j’étais une consultante et le poste que j’occupais n’était pas créé en interne à la Banque Mondiale. Et chez eux, pour qu’ils te prennent en CDI – Contrat à durée Indéterminée – il faudrait que le poste existe et s’il ne l’est pas, il faudrait qu’ils le créent. Je me suis donc retrouvée à attendre longtemps pour qu’il crée ce poste mais ils ne l’ont jamais fait. A chaque fois, ils me renouvelaient mon contrat de consultance. De mon côté, j’avais des projets, je voulais me projeter plus loin, faire des prêts et c’était impossible avec mon type de contrat. J’ai donc commencé à chercher des missions dans des organisations internationales qui duraient un ou deux ans puis ensuite, je retournais à la Banque Mondiale. Je faisais ainsi des allers-retours incessants entre les organisations internationales et la Banque Mondiale.

 

Par ailleurs, j’écrivais à côté pour m’occuper et comme j’aime beaucoup écrire, cela atténuait l’ennui que je ressentais sur le côté professionnel.

 

Et pendant mon passage dans les organisations internationales, je me suis rendu compte d’une chose : j’étais hyperactive, je finissais tôt mon travail et je m’ennuyais terriblement. En effet, je commençais le boulot à 9h et je finissais à 14h. Et quand je dis 14h, c’est parce que je traînais. Je ralentissais mon rythme de travail pour tuer le temps. C’est ainsi que je me retrouvais assise sur ma chaise à me tourner les pouces. Après 14h, je n’avais plus rien à faire et cette situation n’était plus viable.

 

Par ailleurs, j’écrivais à côté pour m’occuper et comme j’aime beaucoup écrire, cela atténuait l’ennui que je ressentais sur le côté professionnel. C’est ainsi que j’arrivais à allier blogging et activité salariale. Mais dans la plupart des bureaux où je suis passée, je m’étais toujours ennuyée. Je finissais toujours mon travail tôt et je n’aimais pas travailler en-dessous de mes capacités. Avec le temps, cette inactivité en entreprise a fini par me lasser. Par m’énerver. Je commençais à déprimer, à me dire que je n’ai pas fait toutes ces années d’études pour rester cloîtrer dans un bureau. Je n’étais pas heureuse et je savais que “l’écriture créative” me rendait heureuse. Je me suis dis tiens “je vais tout lâcher pour me consacrer à ça et on va voir ce que ça va donner.”

 

Mais pour un blog qui parle de société et de culture, et dans un pays comme le Sénégal où le blogging n’est pas hyper développé, je savais que cela n’allait pas me rapporter de l’argent si tôt. J’ai donc économisé assez d’argent avant de quitter mon job.

 

Aujourd’hui, nous avons NK bloggueuse, NK fondatrice de Balik, NK scénariste, NK traductrice, c’est quoi le prochain challenge de NK ?

Les casquettes que vous venez de citer sont déjà nombreuses. Aujourd’hui j’aimerais davantage m’investir dans l’écriture de scénarios – et je le fais déjà avec “Idoles”. Il y a une catégorie de Sénégalais et de réalités sénégalaises qu’on ne nous présente pas dans les téléfilms actuels. J’aimerai les y voir.

 

Quels sont les caractéristiques ou les spécificités de ces personnes ou réalités qui ne sont pas représentées à la télé ??

Ce serait bien par exemple de voir une série qui ne fait pas forcément un focus sur le mariage, sur la méchanceté de certaines belles-familles et tout ce qui tourne autour. Aujourd’hui, je vois beaucoup de femmes “djonguées” et beaucoup de maris autoritaires dans nos séries. Mais que fait-on des gens qui ne sont pas mariés et qui ont d’autres préoccupations que des histoires de couple?

 

J’aimerai enfin voir des séries avec des jeunes sénégalais à la fois traditionnels et modernes. Avec des jeunes à la recherche d’emploi à Dakar.

 

Par ailleurs, j’aimerais bien voir une série avec des images moins pudiques – il faut que nous arrêtions de nous offusquer devant certaines scènes alors que nous passons notre temps à regarder des télénovelas nous montrant des scènes qui s’éloignent de très loin, de nos standards de la pudeur.

J’aimerai enfin voir des séries avec des jeunes sénégalais à la fois traditionnels et modernes. Avec des jeunes à la recherche d’emploi à Dakar. Des séries où l’on voit quelqu’un qui s’ennuie dans son travail et qui a un blog à côté. Rires (…). Des Sénégalais comme moi qui ne se retrouvent pas dans ce qu’on leur propose à la télé en résumé.

 

Parlez-nous de Balik ? Comment vous est venue l’idée de lancer Balik ?

Tout simplement parce qu’à chaque fois que je voyageais à l’étranger, j’en profitais pour faire des stocks de produits que j’aime. A un moment donné, j’en avais marre de profiter de mes vacances pour acheter des produits capillaires. Je sais qu’il existe de nombreuses boutiques qui vendent des produits capillaires à Dakar mais je n’y trouve pas tout le temps ce que je veux. Elles vendent des produits pour cheveux certes mais elles commercialisent également pleins d’autres cosmétiques ou accessoires puisqu’elles ne sont pas spécialisées qu’en cheveux. Cela diminue ainsi la diversité de produits capillaires ou de maquillage qu’elles peuvent nous proposer.

 

Si je veux acheter par exemple toute la gamme d’une grande marque de produits capillaires, il y a de fortes chances que je ne trouve pas tout à Dakar. Je trouverai le shampoing mais il me manquera le masque ou l’après-shampoing. De la même manière, si je veux un rouge à lèvre bien précis, je vais dans leur stand rouge à lèvres mais je n’y trouverai que deux rouges à lèvre. Donc l’offre de produits est limitée car ces boutiques ne sont pas spécialisées dans une catégorie précise de produits cosmétiques et vendent du tout.

 

Je me suis dit qu’il y a probablement des gens comme moi qui rencontraient le même problème. Des hommes et femmes aux cheveux naturels, à qui on répète tous les jours d’aller se défriser et qui souhaiteraient malgré ces remarques, trouver des produits pour prendre soin de leur touffe. J’ai ainsi décidé de lancer Balik Secrets.

Balik”, qui signifie “noirceur” ou  “noir” en sérère – une des langues nationales au Sénégal –  est donc un site de vente en ligne de produits pour cheveux crépus.

 

Sur le site Internet de Balik, vous dites que la vision de ce projet est de promouvoir la beauté naturelle et d’accompagner toute la communauté afro dans le traitement de leurs cheveux. Mais en vous écoutant, on se dit que vous aviez un besoin et que pour répondre à votre besoin il fallait que vous créiez Balik et en le mettant en oeuvre, vous avez répondu au besoin d’autres personnes.

 

J’ai eu la même expérience avec la création de Balik :  en répondant à mon propre besoin, j’ai répondu à celui d’autres personnes.

 

Exact! C’est comme le blog. Lorsque j’ai décidé de créer le blog worldofNK,  je me suis dis que les problèmes que j’ai avec le Sénégal, je pense ne pas être la seule à les avoir. Et dès que j’ai commencé à écrire des articles sur le blog, je recevais des milliers de messages de lecteurs confirmant ces sénégalités que je décrivais et qu’ils vivaient au quotidien. Je me suis dit “ah tiens, parfois, nous pensons être les seuls dans le monde à vivre certaines choses mais en réalité, lorsqu’on cherche un peu, nous voyons ce groupe d’individus qui vit les mêmes contraintes, les mêmes réalités que nous.”

J’ai eu la même expérience avec la création de Balik :  en répondant à mon propre besoin, j’ai répondu à celui d’autres personnes.

 

Pourquoi Balik est une boutique éphémère ?

J’ai démarré Balik sur fonds propres. Je ne voulais pas donc y mettre toutes mes économies pour un début. A la base, c’était éphémère car j’étais dans une optique de test : évaluer le potentiel du projet avec un site de vente éphémère. Si cela rapporte, tant mieux, je continue. Si ce n’est pas le cas, tant pis, j’arrête.

 

Cependant, à l’origine, ma passion et ce qui me rend mentalement stable, c’est l’écriture.

 

Cela fait juste 6 mois que Balik a vu le jour. Je ne vais pas dire que ça marche super bien et que je peux aller à la retraite. Mais, je m’en sors franchement. La communauté du blog me soutient énormément. J’y ai une forte et fidèle clientèle. Balik commence à se développer et je crois que d’ici la fin de l’année, ça ira davantage mieux.

Cependant, à l’origine, ma passion et ce qui me rend mentalement stable, c’est l’écriture. Balik se porte bien aujourd’hui mais si un jour,  je serai dans une position où tout mon temps sera dédié à l’écriture, je vais arrêter Balik sauf si je trouve une autre personne pour s’en occuper.

 

Où est-ce que vous achetez les produits de Balik et c’est quoi le process d’achat ?

Ils viennent essentiellement des Etats-Unis. Pour les obtenir, Je négocie avec les fournisseurs. Je repère des marques que j’aime. Je teste les produits toute seule avant tout et je leur envoie des mails leur faisant part de mon souhait de revendre leurs produits et d’avoir des prix fournisseurs. Parfois, quelques unes m’envoient des échantillons de leurs produits. Je les teste. Si cela me va, je prends. Autrement, je décline respectueusement leur proposition.

Produits vendus sur Balik

 

Sachant que vous (re)vendez des produits de grandes marques, cela voudrait-il dire que c’est facile de prendre contact avec elles ?

Je ne dirais pas que c’est facile mais il faut insister. Par exemple, je ne travaille pas directement avec certaines marques car celles-ci ne veulent pas travailler avec des pays en dehors des Etats-Unis. Mais personnellement, je pense que ce qu’elles essaient de dire, c’est qu’elles ne veulent pas travailler avec des Africains. Donc le contact n’est pas facile avec certaines grandes marques. Il est même impossible.

 

Les grandes marques ont l’air d’avoir peur du marché africain – francophone en tout cas – Elles ne se rendent même pas compte du potentiel de ce marché. Il n’y a qu’à aller au Sea Plaza de Dakar pour en avoir une petite idée.

 

Comment assurez-vous la livraison de vos produits?

Je travaille avec un livreur qui est à son propre compte. Ainsi, 90% des clients se font livrer. Au début, je faisais moi même les livraisons. Pour le fun et pour rencontrer les lecteurs du blog.

 

Comment trouvez-vous le marché de la cosmétique au Sénégal ?

 

Au Sénégal, tout ce qui est en rapport avec l’alimentation, la beauté et le bien-être est super porteur.

 

C’est un secteur aussi bouillonnant que celui de la restauration. Au Sénégal, tout ce qui est en rapport avec l’alimentation, la beauté et le bien-être est super porteur. De plus, culturellement, nous aimons le beau, l’esthétique, le “djongué” pour certaines, donc c’est un domaine qui fonctionne à merveille. Je ne connais pas une personne qui vend des produits de beauté à Dakar et qui a du mal à écouler sa marchandise.

 

Mais pourquoi ce n’est pas valorisé dans ce cas au Sénégal ? Pourquoi lorsqu’on parlera d’entrepreneuriat, on entendra rarement parler de Balik, d’Onglemania, des créateurs de marques de cosmétiques, des filles qui ont créé des sites e-commerces dans le domaine? Et pourtant, ce sont des entrepreneurs comme ceux du secteur de l’agriculture ou des TICS. Et pourtant c’est un domaine qui génère du business.

 

Il y a une catégorie de secteurs qui n’est pas prise au sérieux au Sénégal car cela a l’air moins technique et moins intelligent.

 

Parce que justement c’est le domaine de la beauté. Il est supposé être superficiel, moins compliqué, voire moins mathématique. Cela est une supposition, entendons-nous bien. Au Sénégal en tout cas, c’est comme quand tu vas à l’école et que tu dis “j’aime l’écriture créative,  je veux faire un master en Français” et que tes parents te regardent avec des yeux d’extraterrestres : “t’es sérieux?, tu ne nous parles pas d’expertise comptable ou de médecine mais d’écriture machin…” . Il y a donc une catégorie de secteurs qui n’est pas prise au sérieux au Sénégal car cela a l’air moins technique et moins intelligent.

 

Et ce, malgré que cela génère des millions derrière ?

Ah ça,  c’est ce qu’on appelle la cohérence sénégalaise.

 

Les produits vendus sur Balik sont-ils principalement dédiés aux cheveux crépus ou c’est pour tous types de cheveux?

La cible principale de Balik est 90% la femme aux cheveux crépus mais les produits peuvent être utilisés par tout le monde. De plus, celles qui ont les cheveux défrisés trouvent facilement les bons produits dans les grandes surfaces ou les magasins de cosmétiques à Dakar.

 

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien avec Balik?

 

Il faut une communication presque agressive pour que les produits s’écoulent vite.

 

Les produits s’écoulent mais j’ai fait une remarque : il faut que je parle tout le temps de Balik pour que les produits se vendent. Par exemple, c’est rare qu’une personne achète sans que j’en parle. Aujourd’hui moins qu’au début certes. Je me rappelle qu’au début, lorsque j’en parlais pas, personne n’achetait. On dirait que j’avais besoin de rappeler aux gens qu’ils ont besoin de produits pour leurs cheveux. Il faut donc une communication presque agressive pour que les produits s’écoulent vite et ce n’est vraiment pas mon style. J’ai donc dû apprendre à en parler régulièrement.

 

Une autre remarque, c’est qu’au pays de la Téranga, il y a des personnes qui n’aiment pas passer des commandes en ligne. Elles préfèrent commander en « inbox » sur Facebook ou Snapchat, par appel ou encore par texto. Si certaines ont la paresse ou cette absence d’automatisme à acheter en ligne, d’autres bloquent carrément quand il s’agit de mettre leurs produits choisis dans le panier. Je me retrouve ainsi avec pleins de screenshots qu’elles m’envoient pour que je passe moi même la commande – et je le fais selon mes disponibilités.

 

Je rencontre aussi cette catégorie de personnes qui t’appellent pour savoir qu’est-ce qui est bon pour elles et qui au final, vont acheter ailleurs. Une mention spéciale à celles qui m’écrivent pour me dire “Je vous ai envoyé un message de commande et vous ne m’avez pas répondu”. Dans ces cas-là, je prends sur moi, je leur réponds gentiment et je reste polie. “Je m’excuse” est ma réponse fétiche.

 

Comment imaginez-vous Balik dans 3, 5 ans ?

J’ai arrêté de planifier des projets. Cela ne me réussit pas. Je prends les choses au jour le jour pour l’instant et cela me convient. Je ne sais pas donc ce que Balik va devenir d’ici 5 ans mais j’aimerais bien que ce soit une boutique en ligne qui permettra à certaines personnes de ne plus galérer à trouver toute une gamme de produits capillaires de grandes marques au Sénégal.

 

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