Cet article est tiré d’une réflexion menée au cours de ma thèse en Sociologie intitulée : Natural Hair Movement, un Mouvement de Réhabilitation des cheveux “crépus” en contextes mondialisés (la France, le Kenya et le Sénégal) : une étude comparative des conséquences socio-économiques. En considérant que l’Afrique connaît une renaissance capillaire, mon postulat est qu’elle n’en est qu’à ses débuts. Des prémices qui s’apparentent au “Mouvement Nappy”. Celui-ci, essentiellement basé sur les expériences cosmétiques et esthétiques des femmes nappy, naturalista, il se distingue du Natural Hair Movement”, dont j’identifie une mise en évidence des problématiques inhérentes à ce phénomène capillaire dans le contexte africain subsaharien.
La renaissance capillaire : un bref historique et un état des lieux.
Au début des années 2000, la réhabilitation capillaire des cheveux naturels est popularisée sur les réseaux sociaux par les femmes noires étasuniennes. Une décennie plus tard, les femmes noires européennes l’adoptent, toujours par le biais du numérique. A quelques années d’intervalles, les femmes noires subsahariennes s’inscrivent dans la même mouvance. Ces 3 entités féminines, rassemblées autour d’une revendication commune : celle de porter leurs cheveux naturels. Elles partagent également des problématiques identiques, comme le désamour de ce cheveu.
Par ailleurs, parmi les forces identifiées dans le mouvement nappy, nous avons d’une part, les femmes, les forces consommatrices, qui parlent de l’acceptation d’elles-mêmes puis des entreprises, les forces transformatrices, fortes de propositions cosmétiques variées, qui pullulent. Et d’autre part, nous constatons une activité des salons de coiffure qui se développe progressivement et qui est soutenue par une diversité d’influence (les forces influentes) : les professionnels capillaires (tresseurs, lockseurs) et autres influenceurs comme les médias ou les comptes individuels sur les réseaux sociaux (Instagram ou YouTube).
Et d’un point de vue linguistique, le mot “Nappy” résultant de l’association des mots « natural » et « happy », on serait tenté de croire que toutes les femmes sont épanouies par leurs choix capillaires. Voire qu’elles jouissent d’une compréhension totale tant dans leurs sphères privées (famille, compagnon et proches) que professionnelles. Ce qui est comme vous le verrez ici , loin d’être un cas isolé. Il y est question d’une discrimination plurielle au Bénin des cheveux naturels ou de coiffure spécifiquement liées à cette texture. Certaines coiffures féminines jugées non professionnelles, les femmes risquent une discrimination professionnelle ou un licenciement. Dans l’univers scolaire, certains enfants sont renvoyés de leurs établissements, parce qu’ils portent des dreadlocks. Cette discrimination se poursuit jusque dans la vie conjugale lorsque le rejet du cheveu naturel et les outils de son embellissement provient du conjoint.
En dépit d’apports intéressants sur le continent comme la (re) découverte des avoirs, savoirs et savoir-faire cosmétiques et esthétiques (capillaires), l’autre aspect découlant de cette renaissance capillaire est une cooptation féminine des valeurs esthétiques et modèles capillaires venus d’ailleurs, identiquement à la pratique et la culture du défrisage.
Une renaissance capillaire au ralenti sur le continent africain ?
Le monopole du cheveu lisse en Afrique s’explique d’une part, par le fait qu’au début, les défrisants, malgré leur dangerosité, sont un produit de luxe car importés de l’étranger. D’autre part, son application souvent réalisée dans les salons de coiffure fait que cette pratique n’est pas à la portée de toutes.
Ainsi, la culture du défrisage associée à la diffusion subsaharienne de modèles féminins noirs américains issus de l’industrie du divertissement (le cinéma et la musique) fait entre autres, des cheveux lisses, un indicateur d’une forme de modernité. En ce sens, cette pratique est à l’origine de dysfonctionnements suivants :
- Une importante dépendance des femmes aux produits cosmétiques importés pour l’entretien des cheveux défrisés.
- Une absence de compétences de « salon de coiffure » face au monopole du défrisage : le personnel dans les structures de coiffure africaines est peu formé aux outils de soins que sont la manipulation des cheveux afro et la connaissance des produits issus des terroirs cosmétiques africains.
- Une exposition aux agents chimiques dangereux pour la santé globale des femmes (troubles gynécologiques) et esthétique (une chute capillaire momentanée ou permanente).
Ces trois constats mettent en évidence les limites de cette renaissance capillaire et ses nominations (Mouvement Nappy, Natural Hair Movement, …). Ladite renaissance capillaire, souvent vécue à l’échelle individuelle, décrit un « Mouvement Nappy » , lequel accentue une réhabilitation personnelle des cheveux naturels. Elle gagnerait, donc, à être abordée collectivement au sens du « Natural Hair Movement » pour impliquer plus d’acteurs variés, à même de discuter des enjeux cosmétiques dans les sociétés africaines. Dans ce sens, ce processus réhabilitant des questions culturelles, sociales, sanitaires et écologiques sera discuté et ainsi, servir de fondation aux mutations féminines capillaires individuelles. Par exemple, comment expliquer la faible visibilité de l’Afrique dans ce grand débat mondial au sein de l’industrie cosmétique alors qu’elle représente aussi bien, une clientèle féminine, une main d’œuvre bon marché et une profusion de matières premières? Deux exemples pour illustrer mon propos :
© La propension de produits cosmétiques importés issues des marques noires américaines (Shea Moisture, As I Am, Design Essentials, …) et européennes, essentiellement l’Oréal et ses sous-marques, à l’exemple de Garnier.
Leur succès continental doit interroger l’absence de protectionnisme local, associé à des modes de consommation et de distribution qui contribuent à étouffer le développement d’un entrepreneuriat local.
© L’enjeu climatique, rarement évoqué et qui interpelle à deux niveaux.
Le premier concerne une dépendance de l’industrie cosmétique mondiale sur les terroirs africains, impliquant une surexploitation des matières premières cosmétiques, par exemple les huiles (de moringa, de baobab, d’avocat) et les beurres (de karité, de cacao). Quant au second, il illustre une défaillance dans le système d’emballages car la majorité des produits cosmétiques sont emballés dans des contenants en plastique, ce qui produit des déchets cosmétiques.
Toutefois, des innovations dans ce sens, à l’image de l’entreprise Nokware dont les contenants sont à base de matériaux locaux, méritent d’être soulignées.
Pour finir ..
Notons que sur le retour aux cheveux naturels, malgré le focus sur les problématiques capillaires féminines individuelles (manque de volume, difficultés d’entretien) ou l’enthousiasme collectif notable, même au sein de l’industrie cosmétique, et ce, à juste titre, il faut transformer cette renaissance capillaire en un débat de société. En effet, l‘engouement passé, il est plus qu’urgent que les discussions traitent des effets de cette renaissance capillaire, notamment la valorisation socio-économique des savoirs féminins cosmétiques. La production du beurre de karité étant une activité féminine, elle n’est qu’un des aspects des connaissances féminines sur la pharmacopée africaine. Du point de vue esthétique, ces connaissances capillaires (l’art du tressage) souvent reproduites en dehors du continent ne sont pas identifiées par exemple, comme un apport important à ce patrimoine de ladite renaissance capillaire.
En conclusion, il serait plus approprié que la renaissance capillaire africaine tende vers la logique du “Natural Hair Movement” pour sa visée multidimensionnelle à l‘origine des questions dépassant le champ de la beauté. L’approche du “Mouvement Nappy”, globalement centrée sur les expériences individuelles est insuffisante si l’Afrique veut se réapproprier la « renaissance capillaire » et par la même occasion, contribuer à la conversation cosmétique-esthétique entre les communautés noires.