fbpx
Skip to content Skip to footer

Le duo colorisme-texturisme : le désamour du cheveu “crépu” et de la teinte de peau foncée/noire

Tes cheveux sont trop durs”, “C’est trop difficile de te coiffer”, “Elle aussi, elle est nappy mais ses cheveux sont plus beaux ”… Si l’on vous a déjà sorti une de ses réflexions, sachez que cela constitue ni plus ni moins, une marginalisation à l’égard de vos cheveux. Cette forme de discrimination, basée sur la texture du cheveu a un nom : TexturismeAvant toute chose, il faut savoir qu’il existe plusieurs textures de cheveux, que ce soit chez les caucasiens, les asiatiques ou même dans la communauté afro. Au sein d’une même communauté, les textures de cheveux peuvent aussi être différentes.

Ainsi, certains cheveux afro peuvent être plus ou moins frisés que d’autres, en fonction du patrimoine génétique ou encore du groupe ethnique auquel appartiennent les différents individus. A l’heure actuelle, les cheveux afro sont surtout catégorisés en tenant compte du système de classification réalisé par le célèbre coiffeur américain Andre Walker. Dans cette catégorisation (1a, 3b, 2c, 4c, 4b…) effectuée en fonction de la texture des cheveux, les typologies 4(A,B,C) concernent surtout les femmes noires. Ces types de cheveux sont considérés comme étant “crépus”, durs et difficiles à manier. 

A une ère où le mouvement Nappy a pris de l’ampleur et que le retour au naturel est prôné, cette classification pose problème. En effet, elle favorise une hiérarchisation capillaire, dans laquelle les cheveux lisses et légèrement bouclés sont plus appréciés/aimés et célébrés au détriment des cheveux dits “crépus” et durs. Il est alors question d’un texturisme flagrant envers certains types de cheveux afros. Comment se manifeste le texturisme envers le cheveu “crépu” à l’heure actuelle en Afrique ? Quelles sont les origines profondes de cette discrimination ? Quelles solutions pour inverser la tendance et réapprendre à apprécier et respecter la chevelure afro dite crépue, au même type que des cheveux bouclés ou lisses par exemple sur le continent africain?

Dans la suite de cet article, nous tenterons d’apporter des éléments de réponses à ces préoccupations. 

Contextualisation

Cet article est tiré d’une réflexion menée au cours de ma thèse en sociologie intitulée : « Natural Hair Movement, un Mouvement de Réhabilitation des Cheveux « Crépus » en contextes mondialisés (la France, le Kenya et le Sénégal)  : Une étude comparative des enjeux socio-économiques. L’objectif initial de la recherche était l’étude des perceptions du cheveu “crépu” au sein du Mouvement  Nappy. 

Le texturisme autour du cheveu “crépu” : De quoi est-il question ?

Dans la plupart des pays africains, il  suffit de faire un tour dans un salon de coiffure qui n’est pas spécialisé en cheveu afro, pour subir des remarques désobligeantes : vos cheveux sont trop durs, vous ne voulez pas faire un défrisage ? Les remarques proviennent aussi de l’environnement proche : familles, amis, camarades de classe, de bureau, etc. 

texturisme cheveu crépu

S’il constitue une réalité à laquelle il est difficile d’échapper, le concept du texturisme en Afrique, reste paradoxalement peu connu et discuté sur le continent. Autrement dit, le texturisme se vit au quotidien mais on s’interroge peu sur les fondements et les conséquences de cette discrimination. En effet, le texturisme qui est en réalité un héritage colonial, est longtemps resté inaperçu, en raison de la mode du défrisage. Lorsque tous les cheveux étaient défrisés, il était plus compliqué de noter une quelconque différence de texture.

A lire aussi : Mouvement Nappy ou Natural Hair movement, quel modèle pour l’Afrique ?

Par contre, avec l’avènement du Mouvement Nappy, de nombreuses personnes ont décidé de retourner au naturel et d’arborer fièrement leurs cheveux afro. Ce qui a contribué à rendre visible les différences de textures entre cheveux noirs. Le texturisme est alors encore plus déplorable, lorsque l’on sait qu’il sévit dans la communauté afro et a été renforcé par la prise d’ampleur du Mouvement Nappy.

Au sein dudit mouvement, les besoins capillaires sont différenciés d’une texture de cheveux à une autre. Ils diffèrent aussi en fonction des  préférences de la clientèle. Ces différenciations sont créées et entretenues par les partenariats entre les entreprises cosmétiques et les personnes/plateformes influenceuses. Autrement dit, l’industrie capillaire mondiale, a joué un rôle majeur dans la persistance du texturisme

Texturisme et cheveu “crépu” : La part de responsabilité de l’industrie capillaire mondiale

Au début des années 90/2000, les femmes noires ont été bombardées de photos de mannequins aux cheveux bouclés, brillants et souples. C’était le cas dans les publicités des marques capillaires telles que Dark and Lovely ou Garnier par exemple. A l’époque, presque toutes les petites filles noires rêvaient d’avoir des cheveux lisses ou soigneusement bouclés, comme les modèles des publicités. Beaucoup de jeunes filles avaient intériorisé cela comme l’idéal capillaire à atteindre. 

texturisme cheveu crépu

De ce fait, l’industrie capillaire a contribué à ériger en modèle de perfection, des cheveux lisses ou soigneusement bouclés. Contribuant ainsi à favoriser un rejet des textures de cheveux qui ne se rapprochent pas de celles montrées dans les publicités. C’est en cela que l’on parle de texturisme.

Aujourd’hui, l’histoire se répète : 

Ce sont les influenceuses afro-américaines ou métissées, avec leurs cheveux bouclés et longs, qui sont mises en avant par les marques de cosmétiques destinées aux cheveux afro naturels. Cela au détriment des personnes arborant des cheveux plus “crépus”, ce qui encore une fois a contribué à entretenir le texturisme au sein même du mouvement Nappy.. Toutefois, des créatrices de contenus et influenceuses, avec des cheveux aux boucles plus resserrées ont été mises en lumière ces dernières années. Mais elles arborent pour la plupart, des cheveux longs et volumineux. Ce qui entraîne un complexe chez les personnes qui ont des cheveux afro plus courts ou moins denses. 

texturisme cheveu crépu

A lire aussi : Décolonisons le cheveu afro : Les moments forts du live avec le cheveutologue Nsibentum

Texturisme sur cheveu “crépu”: Le mouvement Nappy aussi au banc des accusés ? 

Malgré une volonté d’acceptation de toutes les formes de textures de cheveux, ce Mouvement Nappy a aussi contribué à des inégalités capillaires.  Cela suppose que les femmes sont encore soumises à des formes de comparaisons du « bon » et « mauvais » cheveu, tant dans leurs environnements privés que professionnels. Elles sont également comparées entre elles, de par la classification émanant de l’industrie capillaire elle-même. 

D’abord, un classement du cheveu établi par le coiffeur André Walker, : 

  • Cheveux lisses type 1 : ➖ de 1A à 1C
  • Cheveux ondulés type 2 : 〰️ de 2A à 2C 
  •  Cheveux bouclés type 3 : ➰ de 3A à 3C
  • Cheveux crépus type 4 : ➿ de 4A à 4C 

Dans cette classification, les chiffres 3 et 4 concernent spécifiquement les femmes noires et indiquent la nature de leurs boucles de cheveux. Ensuite, la classification à base des lettres A,B,C décrit le degré de la frisure.

texturisme cheveu crépu

A ce titre : 

  • La lettre A supposera une facilité dans la gestion capillaire professionnelle (en salon de coiffure) ou personnelle. Cela fait penser que ces cheveux sont plus malléables que d’autres.
  • La lettre C, quant à elle, souvent décrite par quelques professionnels et certaines concernées naturalista comme un « cheveu compliqué » crée/perpétue le  rejet du  “cheveu « crépu ». 

Par conséquent, la typologie de cheveux  4C subit le préjugé d’être difficile à porter au quotidien. 

En deuxième lieu, le texturisme se manifeste à travers la célébration des normes de beauté occidentales. Ce qui a conduit à une marginalisation de la peau foncée à noire et des cheveux frisés à “crépus”.  Malgré la forte influence euro-américaine de l’industrie du divertissement englobant la musique, le cinéma et la mode, plusieurs productions audiovisuelles et musicales africaines s’inscrivent dans la même lignée. C’est-à-dire, à la faveur des actrices ou célébrités claires de peau (naturellement ou artificiellement) et qui arborent des cheveux lisses (parfois artificiels). 

A lire aussi : La représentation des cheveux et coiffures afro dans les séries africaines, cas du Sénégal

A ce sujet, la série sénégalaise « Maîtresse d’un Homme Marié »⁰ reste une une rareté dans le genre. Les premières saisons de cette production assuraient une (re)présentation plus ou moins équilibrée entre les peaux claires/noires et de cheveux lisses/naturels, voire même une (re)valorisation des carnations foncées et textures « crépues ». En considérant cet exemple, il est évident que le Mouvement Nappy a contribué en partie à délier les langues.

Le colorisme : Un élément indissociable du texturisme envers les peaux noires

Le texturisme, qui a fait couler moins d’encres que le colorisme, reprend pourtant le même schéma que ce dernier. En réalité, le texturisme est directement lié au colorisme. Le colorisme étant le fait d’apprécier au sein même de la communauté afro, les personnes ayant la peau plus claire ou une peau se rapprochant des standards euro centrés, au détriment de celles de peaux noires ou foncées. 

Le texturisme lui, étant une situation dans laquelle, on favorise plus les cheveux afro qui se rapprochent des canons de beauté européens. Il est donc nécessaire d’analyser ensemble le colorisme et le texturisme, étant donné leurs manifestations concomitantes, notamment en Afrique. 

Première à définir le colorisme en 1952, l’écrivaine noire américaine Alice Walker décrit “une hiérarchisation multigénérationnelle construite sur un biais intériorisé à la faveur des personnes noires aux phénotypes eurocentrés”. Autrement dit, les personnes claires de peau sont socialement avantagées, (par exemple, elles sont considérées plus attirantes physiquement), économiquement favorisées (ont plus d’opportunités d’emploi) au détriment de celles plus foncées ou noires.

Les origines du colorisme et du texturisme sur cheveu “crépu” en Afrique

Le duo coloriste-texturiste se traduit de plusieurs manières. En voici les principales origines : 

Texturisme sur cheveu crépu et colorisme : Un héritage colonial ravivé par un racisme contemporain

D’une part, l’ère coloniale, en niant l’humanité noire, a favorisé “un rejet de soi” conscient/inconscient au profit de modèles de beauté euro-centrés. D’autre part,  dans les sociétés modernes actuelles, la race noire est niée en la faisant ressembler, à s’y méprendre aux modèles jadis, coloniaux.  A ce titre, notons une industrie du cheveu lisse toujours à flot, en dépit de la renaissance capillaire. Par conséquent, les cheveux afro n’ont pas encore totalement été normalisés et ne correspondent pas encore tout à fait aux standards de beauté des sociétés africaines. Le texturisme, héritage direct de la colonisation, a été fortement internalisé. C’est la raison pour laquelle de nos jours, la préférence se tourne vers les cheveux bouclés et rarement vers les cheveux crépus qui sont eux aussi une déclinaison normale du cheveu afro.

Un impensé institutionnel en Afrique : 

La question cosmétique-esthétique est rarement discutée dans les organes étatiques sur le continent.  Le Ministère de la Santé, n’étant pas le seul concerné, des initiatives sensibilisant sur les effets néfastes des mauvaises pratiques cosmétiques, sont principalement cantonnées tant au niveau dermatologique que gynécologique. 

Pourtant, dans cette industrie issue du Mouvement Nappy la question cosmétique peut être abordée et réglementée via  plusieurs leviers : l’import-export des produits cosmétiques, la législation sur l’entrée sur le continent des produits chimiques dénaturants, la régulation de l’exploitation des matières premières cosmétiques, etc., ne sont que quelques exemples impliquant un engagement de l’Etat. 

Une méconnaissance locale de la culture cosmétique-esthétique :

Les arts capillaires en Afrique, dont le plus célèbre est l’art du tressage, à même de sublimer les cheveux naturels, ne sont pas perçus comme une alternative socio-économique probante, malgré une réelle valorisation du métier grâce au Mouvement Nappy. 

Souvent considérés comme un acquis du patrimoine africain, les savoirs capillaires ancestraux gagneraient à être pleinement valorisés d’autant qu’étant manuels, elles tendent à disparaître car peu transmises. 

En outre, postulant que la beauté passe également par ce qui est ingéré, il serait intéressant de documenter les connaissances ancestrales sur l’apport de l’alimentation à la cosmétique et vice-versa. 

Une perte économique pour les gouvernements africains :

En dépit que l’Afrique regroupe deux maillons majeurs endogènes du Mouvement Nappy, à savoir les communautés productrices de matières premières cosmétiques et la clientèle (nationale et diasporique en (ré)installation locale), ce continent reste à la merci des collaborations entre les influenceur-se-s et les entreprises exogènes, comme l’Oréal. 

Le développement amorcé par ce Mouvement des terroirs locaux des savoir-faire, potentiellement exploitables de manière éthique, est ainsi ralenti. 

Une pression sur la femme africaine : 

Nombre d’aspects de la vie individuelle sont impactées par toutes ces formes  coloriste-texturistes. Que ce soit une préférence maritale pour les femmes claires ou certaines coiffures naturelles jugées moins attrayantes, les femmes naviguent entre les lois socio-esthétiques qui les catégorisent sous le prisme capillaire ou épidermique. Sinon pourquoi sont-elles nombreuses à se dépigmenter ou à porter des cheveux artificiels, en dehors des raisons médicales  ? Peut-être la mode, mais à quels prix (médical, économique, social du fait de l’ostracisation)? 

En conclusion… quelques pistes de réflexion

Transmise au cours de socialisations privées (la famille, le cercle amical,) et publiques (le salon de coiffure, les réseaux sociaux, les médias), les individus intériorisent l’habitus coloriste-texturiste tout en s’y accommodant par voie cosmétique. 

Sachant que l’habitus est un terme sociologique indiquant un comportement acquis, caractéristique d’un groupe social, quelle que soit son étendue, et transmissible au point de sembler inné, la préférence des carnations les plus claires et des textures les moins « crépues” reste notable.

En conséquence, reconnaître les causes historiques du colorisme et texturisme aiderait à gérer les conséquences modernes des formes d’infériorisation du cheveu “crépu” et de la peau foncée à noire. Le meilleur indicateur est la timide éclosion d’une industrie cosmétique dans les capitales africaines happées par les produits/pratiques cosmétiques importés du fait de la mondialisation. 

Ainsi, venir à bout dudit habitus suppose une désindividualisation du débat. Au lieu de « réprimander » socialement (par la dénonciation, la moquerie, etc.) et « d’alarmer » médicalement les femmes qui se dépigmentent ou qui « abusent » des coiffures artificielles, certes à raison, il faut d’abord comprendre les causes de ces comportements et les rouages qui les soutiennent. 

En fait, tant que la peau claire et les cheveux lisses produisent un capital socio-économique en permettant l’accès à un emploi, une situation amoureuse, le colorisme et le texturisme perdureront parce qu’ils traduisent une incapacité collective (sociétale) à apprécier la diversité de toutes les carnations de peau noire et toutes les textures; bouclées à “crépues”. 

Question au public : chère communauté, avez-vous remarqué des préférences pour une carnation de la peau ou une texture de cheveux dans vos entourages? Si oui, comment se traduisent-elles?

Mots clés : Colorisme, Peau noire, Texturisme, Cheveux naturels, Femme Africaine, cheveux crépus

Dr. Kwizera Christella

Choisissez votre langue