“Karma”, “Maîtresse d’un homme marié”, “Les coups de la vie ou encore”, “Blood and Water”. Ce sont là les noms de séries célèbres ayant conquis les cœurs des Africains. Et pour cause, il s’agit de productions réalisées sur le continent et par des Africains. Le casting se compose donc essentiellement d’acteurs d’origine africaine. Les histoires sont, elles aussi, représentatives du quotidien de bon nombre d’entre nous. On y dépeint nos sociétés traditionnalistes, les réalités de la polygamie ou encore les rites et culture de chez nous. Mais, qu’en est-il des cheveux et coiffures afros ? Sont-ils représentés de façon respectueuse et authentique? Sont-ils au moins représentés ou a-t-on encore droit à des personnages adeptes de cheveux brésiliens? C’est à ces nombreuses questions que je tenterais de répondre dans ce billet en me penchant sur le cas des séries sénégalaises.
Est-ce légitime d’espérer une représentation des cheveux et coiffures afros dans nos séries?
Si l’on devait mentionner une différence notable entre les Africains et les autres, ce serait probablement les cheveux. Ces derniers ont en Afrique une consistance qui n’est pas commune: crépus, frisés et bouclés. Impossible de les confondre avec des cheveux de caucasiens. C’est pourtant le type de cheveu qui soufre le plus de discrimination et de jugement. En effet, le porter tel qu’il est est très souvent mal vu même dans nos sociétés africaines. Sa texture est dénigrée. Tant de gens trouvent encore qu’il vaut mieux arborer une coiffure qu’ils jugent plus ordonnée et propre. Parce que toujours selon leur perception, les cheveux et coiffures afros, ce n’est pas présentable. Je ne sais pas pour vous mais pour moi, ca dénote un énorme manque de confiance en soi. C’est presqu’un déni de sa personne.
Evidemment, les premières à pâtir de ce jugement, ce sont les Africaines elles-mêmes qui, pour se conformer, optent pour l’usage de mèches lisses, mèches qu’elles arborent au quotidien, se dépouillant ainsi d’une partie importante de leur identité. Dans un contexte tel que celui là, ou les clichés ont encore la vie dure, les Africains ont besoin de représentativité dans tous les secteurs, surtout dans celui du divertissement, notamment dans le cinéma.
Avant de réclamer que les super productions hollywoodiennes ne se lancent sur cette voie, il est totalement normal de l’attendre en premier de nos réalisateurs africains. Ils se targuent d’être les auteurs de productions 100% africaines. Mais quel est le message que véhiculent ces séries? Les petites filles peuvent-elles s’identifier aux actrices? Est-ce que leurs cheveux afro et toutes les coiffures qui se rapportent aux Africaines sont bien mis en avant dans les séries qu’elles regardent? Pour répondre à cette question, ma réflexion va essentiellement porter sur les séries sénégalaises dont les noms des héroïnes principales sont sur toutes les lèvres.
Séries sénégalaises, cheveux et coiffures afros: bon ménage ou pas ?
J’ai moi-même été très friande de séries sénégalaises. Elles sont plus populaires depuis l’avènement de la maison de production sénégalaise Marodi Tv. C’était rafraîchissant de voir des belles femmes africaines tenir les premiers rôles dans des productions africaines exportées à l’étranger. Nous avons probablement été nombreuses à nous extasier devant Amy Léa de “Karma” ou encore Marème de “Maitresse d’un Homme Marié” .
Au sein de ces séries, c’est le vécu de beaucoup de femmes réelles qu’on nous a décrit. Je suis tombée amoureuse des combats que chacun de ces personnages féminins a mené. Et si parfois, le dénouement de ces histoires n’était pas celui espéré, j’étais finalement galvanisée d’avoir vu mes semblables se démener contre la fatalité et le sort que la société africaine leur réservait. Alors oui, ces personnages imaginaires étaient inspirantes. Mais au final, me représentaient-elles assez? Moi qui préfère garder mes cheveux crépus au vent? Moi qui ne me soucie pas de les lisser pour me rendre au boulot? Qui n’hésite d’ailleurs pas à m’y rendre avec des nattes collées? Moi qui ne me fais tresser que des braids et des dreadlocks pour accentuer mes traits d’Africaine? La réponse à toutes ces questions est sans appel: je ne sais pas.
Je pense que le personnage de Marème Dial, caractère principal des deux premières saisons de la série “Maîtresse d’un homme marié”, était un exemple. Elle était magnifique, arborait beaucoup de tresses afro, des fulani braids et beaucoup d’autres styles de coiffures ethniques et très représentatifs de l’Afrique. Djalika également n’était pas en reste. Mais pour ce qui est des autres personnages féminins de la série, je suis plus que mitigée.
Sous les beaux foulards de Lala, la rivale de Marème, il y avait beaucoup de cheveux et de mèches lisses. Et que dire de Racky, très naturelle au début de la série mais qui devient friande de tissages et de perruques lorsqu’elle connaît l’ascension professionnelle. C’est d’ailleurs là un cliché très présent dans le cinéma africain. J’ai toujours remarqué que dans ce milieu, lorsque certains personnages féminins portent leur chevelure au naturel, ça veut dire qu’elles incarnent des bonniches, des villageoises. Bref, des pauvres filles quoi. Leur ascension sociale se caractérise souvent par de nouvelles coiffures “occidentalisées” et le port de perruques lisses…très lisses.
Néanmoins, il est important de prendre en compte le fait que le choix de la coiffure dans une production cinématographique dépend du personnage, de sa personnalité, de la vision du réalisateur et parfois de la scène à tourner. Ce sont autant de facteurs qui pourraient expliquer les styles de nos actrices préférées.
Dans les séries telles que “Karma”, “Impact” ou encore “L’Or de Ninki Nanka”, il y a encore moins de représentation de la coiffure africaine que dans Maîtresse d’un Homme marié. Pour des adultes comme moi, qui ont grandi et compris certaines choses, ce n’est pas tant un problème. Voir quelques actrices arborer tout le temps des perruques et extensions lisses, ne pourrait plus affecter mon rapport à mes cheveux et aux coiffures qui selon moi, me représentent le mieux. Mais, qu’en est t-il des autres? Ces nombreuses petites filles qui se construisent et qui ne peuvent y arriver qu’en suivant les exemples qu’on leur montre?
En réalité, cette représentativité que nous réclamons tant, nous la réclamons pour les plus jeunes, pour celles qui hésitent à opter pour un look définitif, pour démystifier tous les clichés liés au cheveu africain. On ne l’exige pas aux grandes productions hollywoodiennes. On le demande à nos maisons de productions africaines et c’est tout à fait légitime. Combien de fois avez-vous vu des personnes blanches en vedette d’un film, porter des cheveux et des coiffures afros? Autrement que pour se moquer? Ça n’est jamais arrivé, du moins ce, pas à ma connaissance. Mais l’inverse est fréquent. Je me suis demandée pourquoi. Et si ce manque de représentativité était tout simplement le reflet de la réalité des sociétés sénégalaises?
Actrices aux cheveux lisses: les écrans sont le reflet de la société sénégalaise
Au quotidien, les sénégalaises aiment-elles porter les cheveux lisses? La réponse est oui. Le port de perruques au Sénégal est fréquent. Quant aux tissages, les femmes du pays de la Teranga les adorent. Elles sont friandes d’extension de cheveux “humains” et pour beaucoup, il est encore inconcevable de se rendre au travail en portant des twists, impossible de sortir de la maison avec des nattes collées. Ces mèches sont pour beaucoup d’entre elles, le B-A-BA de la coquetterie. Des mèches lisses, qui ne ressemblent ni de près ni de loin aux cheveux africains. Certaines femmes y ont recours parce que le port de perruques est pratique au quotidien.
Malheureusement, quand vient le moment de choisir la perruque à acquérir, leur choix se porte rarement sur des postiches aux allures afro ou sur des perruques qui rappellent la texture de nos cheveux. Et ce n’est pas comme ça seulement au Sénégal. C’est le cas dans beaucoup de pays de l’Afrique de l’Ouest. Ce n’est donc pas étonnant que les séries sénégalaises mettent en scène beaucoup de jeunes femmes arborant ce genre de coiffures.
Ce qu’il faut faire
Vous l’aurez compris, ce qu’on voit à l’écran est le reflet de la réalité. Il est plus que temps de faire un effort à ce niveau. Les jeunes filles africaines ont besoin de s’identifier à des figures de femmes inspirantes. Elles peuvent les trouver dans l’industrie du divertissement. Il faut donc leur montrer des femmes qui leur ressemblent. Elles doivent réaliser que leurs cheveux peuvent envoyer un message, qu’une coiffure dit tout des origines et que le meilleur moyen de prôner les leurs, c’est leurs cheveux. Il est temps d’arrêter de faire comme si les perruques et extensions n’impactent pas la vision qu’ont les gens d’eux même. Que cela n’affecte pas le rapport avec les cheveux. Les actrices sont des porte-voix, des influenceuses. C’est maintenant le moment d’exploiter leur potentiel.
En Afrique du Sud, les séries mettent en scène de magnifiques femmes africaines, arborant des coupes et coiffures africaines. Les séries Netflix Savage Beauty ainsi que Blood and Water le montrent assez bien. Foulards en wax, braids, locks, chignons afro, cheveux afro coupés courts, fulani braids, tout y est. Les séries sénégalaises et les maisons de production devraient s’en inspirer sans craindre de dénaturer l’histoire ou ses personnages. Parce que l’on peut être belle, l’on peut être une femme de poigne et donner la réplique avec une coiffure afro.
Les coiffures ont toujours été un moyen d’expression. Elles se rapportent aux peuples, à leur histoire et origines. En Afrique, nous avons la chance d’avoir des cheveux texturés et une panoplie de styles de coiffures à disposition. Il n’est donc plus question de tout balayer du revers de la main et de porter des perruques lisses qui ne représentent aucune partie de nous. C’est un travail de longue haleine qui va probablement nécessiter un changement de mentalité. Mais, je suis persuadée que le cinéma africain est capable d’apporter sa pierre à l’édifice. Il suffira de faire la promotion du cheveu et des coiffures afros au sein d’œuvres cinématographiques. Pour ce faire, les actes sont plus parlants qu’autre chose.
Nous avons besoin de personnages de fiction adeptes de cheveux et de coiffures afros. Nous voulons des femmes qui n’ont pas honte de leurs cheveux et qui n’hésitent pas à opter pour des coiffures qui leurs ressemblent, afin que les futures générations aient des modèles plus authentiques et qui leur ressemblent. C’est légitime. Le cinéma africain peut nous le donner. C’était la tribune de Sènami, jeune béninoise qui aime ses cheveux afros, sa peau noire et qui veut que toutes les africaines ressentent la même chose.