Si vous deviez donner une définition à la perruque, quelle serait-t-elle ? Selon Wikipedia, il s’agit d’une coiffure de faux cheveux ou d’un postiche en fibres naturelles ou synthétiques. Partout dans le monde, cet accessoire a conquis les cœurs, surtout celui des femmes et a pendant longtemps entretenu avec la femme noire, un rapport particulier que nous allons vous expliquer dans cet article. Aujourd’hui, celles-ci revendiquent leur droit de porter la perruque sans que l’on ne les accuse de ne pas aimer leurs cheveux. Ce sont effectivement deux choses différentes et il est peut-être temps d’apporter de la nuance à ce sujet. Nous tenterons de le faire dans les lignes suivantes.
La perruque : une perception qui varie selon le pays et l’époque
La perruque a toujours été portée partout dans le monde et à différentes époques. Dans l’Antiquité, à l’époque moderne et aussi de nos jours, cet accessoire a perduré dans le temps. À chacune de ces époques, le port de perruque se faisait pour des raisons liées à la mode, pour des considérations esthétiques ou professionnelles, ou pour se conformer à une prescription culturelle ou religieuse. Dans l’Egypte ancienne par exemple, les gens en portaient pour se protéger le crâne du soleil. C’était aussi une parure à l’occasion d’événements d’envergure. De même, d’autres civilisations anciennes comme les Assyriens, les Phéniciens, les Grecs et les Romains portaient couramment des perruques. En Asie ou dans l’Extrême-Orient, ces accessoires n’étaient pas courants, presque inexistants. Dès le XVII ème siecle, la perruque s’est imposée dans les cours royales françaises et anglaises où, des souverains comme Louis XII et Elisabeth I en ont porté durant tout leur règne.
Après ces différentes époques, la perruque et son usage ont évolué dans les cours royales comme dans les autres sphères de la société. Aujourd’hui, c’est un accessoire très prisé pour des raisons esthétiques et à cet effet, fréquemment utilisé.
Dans les mondes noirs et surtout sur le continent africain, la perruque a été adoptée par beaucoup de femmes. En Europe aussi, les femmes noires n’ont pas hésité à en porter. Mais, dans ce dernier milieu, une idée s’est généralisée aussi bien pour les personnes noires, que pour les non noires. Une idée selon laquelle les femmes noires qui portent des perruques ne s’assument pas. Elles veulent ressembler aux européennes et aux personnes blanches. Autour de cette pensée, on a les membres de communautés africaines qui avancent que la perruque est synonyme de «déni de soi». Et d’un autre côté, on a les personnes blanches, qui après avoir longtemps été accusées d’appropriation culturelle, n’hésitent pas à affirmer à leur tour qu’une femme noire qui porte la perruque veut surtout ressembler à une blanche. Cette idée s’est largement répandue et a même fait son bout de chemin en Afrique. Est ce qu’elle est fausse? Pour le savoir, nous sommes allées à la rencontre de jeunes femmes africaines.
Des femmes noires, qui ne veulent plus qu’on les résume à des postiches
Les amoureuses de perruques sont désormais accusées de souffrir d’un terrible manque d’amour de soi. Beaucoup de personnes pensent qu’elles n’aiment pas leurs cheveux. Mais il est important de s’interroger sur les raisons du port de perruques par les femmes noires. Et qui de mieux qu’elles mêmes pour répondre à cette question ?
Direction le Bénin où nous avons fait une incursion dans un petit salon de coiffure de Gbégamey. Là-bas, nous avons eu la chance de retrouver Carole, qui s’y était rendue pour installer une perruque avec frontale. L’accessoire était plutôt lisse et s’apparentait à ces chevelures tout droit sorties de séries novelas.
Après avoir plaisanté autour d’une éventuelle ressemblance à Thalia de Marimar, on a demandé à Carole si elle était une habituée des perruques. Elle nous a affirmé que oui, qu’elle les aimait beaucoup. À la question de savoir pourquoi, la jeune femme de 28 ans a pouffé de rire et répondu « Bah, j’aime, c’est aussi simple que ça. C’est une coiffure très pratique » Pratique, mais encore ? Carole s’est alors lancée dans une explication très édifiante. « En fait, j’ai des cheveux crépus. Je suis même une adepte du mouvement nappy. Mais, je n’ai pas assez de temps pour m’en occuper. La perruque me permet de les protéger. Toutes les deux semaines je m’assure de me rendre chez la coiffeuse pour un soin. C’est ensuite que l’on installe la perruque que je retire tous les soirs à mon retour du boulot.» On lui a ensuite demandé ce qu’elle pensait de ces accessoires d’un point de vue esthétique. Elle nous a répondu que la perruque donnait à la femme noire l’illusion d’avoir une texture de cheveux qu’elle ne pourrait jamais avoir de façon naturelle : « Les cheveux lisses sont des cheveux comme les autres. Ça nous permet à nous femmes noires d’obtenir un rendu que l’on ne pourrait avoir naturellement. Pourquoi ne pas en profiter ? »
A côté d’elle, Ariane qui avait suivi la conversation. Agée de 40 ans, notre interlocutrice est maman d’une fille âgée de 15 ans. La jeune femme attend aussi de se faire installer une perruque et n’hésite pas à répondre à nos questions en attendant. « Moi j’aime les perruques, peu importe comment elles sont. Lisses, crépues, frisées, j’ai à peu près tout essayé. » On lui a demandé si elle le fait par désamour de ses cheveux naturels. « Non, mon rapport avec mes cheveux n’a rien à voir avec mon amour des perruques. J’en ai toujours mis c’est vrai, et il est possible que cela m’ait éloignée de mes vrais cheveux mais pour moi, ça a toujours été une question esthétique. De plus, j’ai fini par développer une alopécie à cause de laquelle j’évite de me faire faire des tresses. » À la question de savoir ce qu’elle pensait des femmes qui sont désormais accros au port de perruques, elle nous a répondu qu’elle s’inclut dans cette catégorie de personnes: « Aujourd’hui, j’appartiens à ce groupe de femmes là et je peux dire avec certitude que les raisons sont nombreuses, il ne faut pas affirmer que c’est systématiquement une question d’estime de soi. C’est très souvent parce qu’on aime le rendu, qu’on veut changer de tête ou pour le côté pratique.»
Au terme de ces échanges, nous avons discuté avec une autre femme, notre correspondante en France. D’origine béninoise, Aurelle a 25 ans, elle vit en France depuis quatre ans. Elle nous a donné tout un témoignage autour de son rapport à la perruque.
« Je n’assume pas mes perruques » nous a t-elle lâché de but en blanc. Nous lui avons évidemment demandé plus de détails qu’elle n’a pas hésité à nous donner. « Par exemple en entreprise, je n’arrive plus à en mettre. Ça fait environ un an et demi que je ne porte plus de perruques parce que je me sens fausse dès que j’en met une sur la tête. A l’époque, j’avais l’impression d’imiter les yovos (expression qui désigne en fongbé, blancs ) et cette sensation plutôt psychologique qu’ils parlaient de moi dans la rue. Mon ancienne coloc libanaise trouvait d’ailleurs très bizarre l’amour qu’ont les femmes noires pour les perruques. Une fois elle s’est fait couper les cheveux au Liban et quand elle est revenue, elle m’a dit en rigolant qu’elle aurait dû me les ramener… Après ça, j’ai mis un certain temps avant de définitivement arrêter. Peut-être l’effet à retardement de son commentaire.» Nous lui avons ensuite demandé si cela signifiait qu’elle ne mettrait plus de perruques. Elle nous a répondu que non. « Au Bénin et dans les milieux noirs je peux porter des perruques sans complexe parce qu’on est nombreuses à le faire. Personne ne viendra me demander pourquoi j’en porte ou si ce sont mes vrais cheveux. En général, quand la perruque est courte, frisée et dotée d’un bandeau, j’envisage de la mettre en entreprise. Si elle est longue, je n’assume pas. Par contre, on aura beau dire, il est plus facile d’enfiler rapidement un postiche quand on n’a pas le temps de se tresser ou de faire un chignon afro le matin, avant le travail ».
La colocataire d’Aurelle, Amanda, jeune sénégalaise a elle aussi confirmé les paroles de son amie. Mais elle, semble ne pas vouloir arrêter de porter des perruques : “ Peu importe ce que disent les gens, moi je ne porte pas de perruque pour ressembler à une blanche. Je sais qui je suis. J’en mets parce que j’aime, parce que c’est pratique et que contrairement à ce que les gens pensent, cet accessoire m’aide à entretenir mes cheveux naturels. Et puis, vous avez une idée de combien ça coûte de se faire tresser en Europe ? Pour les étudiantes, ce n’est pas donné. De plus, les gens instrumentalisent tout ce qu’ils peuvent pour stigmatiser les femmes noires. Et dans les mondes non noirs, la perruque est un outil de choix pour ça. Mais moi, mon rapport avec les cheveux lisses n’est pas du tout politique. Ils sont synonymes de liberté même. Du coup, la perruque me permet d’être tout ce que les gens disent que je ne peux être à cause de ma peau noire”
Au Sénégal c’est avec Mariama que nous avons discuté. Agée de 30 ans et mariée il y a peu, Mariama nous a expliqué que pour elle, la perruque est extrêmement pratique. En tant que femme mariée et musulmane, la jeune dame est souvent amenée à réaliser la grande ablution, qui consiste à se laver tout le corps, la tête y compris, après les rapports sexuels. Elle a eu le temps de constater que pour elle, dont la vie sexuelle est active, la perruque était la seule solution. “ Lorsqu’on se tresse, qu’on fait des braids ou un autre type de coiffure, ce n’est pas simple de réaliser la grande ablution. Puisque tu dois aussi te laver la tête, tu ne peux qu’adopter les perruques. Tu la retires, tu fais ton ablution, puis tu la remets ensuite. Les femmes mariées qui sont tout le temps tressées, se plaignent du fait que leurs coiffures se détériorent vite. C’est normal, si tout le temps elles s’aspergent la tête d’eau ” Au Sénégal, chez les musulmanes, les exigences religieuses poussent donc beaucoup de femmes à mettre des perruques.
Amanda, Aurelle, Carole, Mariama et Ariane semblent avoir toutes voulu faire passer un message : Vous ne pouvez pas nous résumer à nos perruques.
Une femme noire est bien plus qu’une perruque
Il y a peu, nous avons rédigé un article sur la représentation des cheveux afros dans les séries sénégalaises, soulignant le fait que l’industrie du divertissement sénégalaise peinait à mettre en avant les coiffures afro dans ses productions. Une réalité qui ne fait qu’asseoir les complexes de la femme noire et les préjugés contre elle. L’article du jour nous apparaît comme une suite, un nouvel élément qui apporte de la nuance à ce grand débat. Si beaucoup de femmes portent des perruques parce qu’elles complexent, d’autres en portent pour mieux prendre soin de leurs cheveux. Certaines en aiment le côté pratique et d’autres veulent changer d’apparence au gré de leurs envies. Il nous est apparu aussi que malgré ces nombreuses raisons, la perruque demeure un outil qui maintient les préjugés. Quand on en porte, soit on passe pour une complexée sans en être une, soit on l’est en réalité. Dans beaucoup de cas, les amoureuses de perruques finissent même par en être accros, incapable de vivre sans.
Peu importe de quel bord on se trouve, toutes ces visions ne font que limiter l’épanouissement de la femme noire. Est ce qu’il y a une solution à cela ? Arrêter le débat ? Le relancer différemment ? Ces suggestion ne sont-elles pas éphémères lorsqu’en réalité, tout est question de mentalité ? Chez Setalmaa, on pense que les femmes noires ont une responsabilité. Elles doivent apprendre à s’aimer avec ou sans perruques, sans dépigmentation, maquillées ou pas. Nous croyons aussi que les institutions et la société doivent les y aider en faisant tomber ces préjugés qui ne font que renforcer les complexes. Ceux qui ont le pouvoir d’influencer doivent agir dans ce sens. Une perruque n’est qu’un accessoire, un instrument. Et si on lui retirait ce pouvoir qu’elle a de placer les femmes noires dans des catégories figées ?